5 Février 2024
Comme elle est lourde la souffrance des humains !
Non seulement la souffrance à soi mais aussi celle des autres , plus angoissante parfois que la sienne propre.
A son étreinte cruelle, sous une forme ou sous une autre ,
personne ne peut échapper. L'homme a beau faire appel aux ressources de la science et aux précautions de la prudence la plus attentive , rien n'y fait : la souffrance réussit toujours à le rejoindre et à le meurtrir, à n'importe quelle heure du jour et de la nuit.
La parole de Heideger s'impose : « Etre pour l'homme, c'est
souffrir ! »
La souffrance est un mal qu'il faut s'efforcer de diminuer et
d'atténuer par tous les moyens.
C'est un mystère profond par lequel se réalise la plus haute perfection de l 'humanité.
«La misère n'est pas naturelle »
Elle n'est pas imputable à Dieu mais à une libre défaillance
de la créature. Sa présence, si terrible qu'elle soit, ne doit donc pas nous élever contre Dieu mais plutôt nous inciter à recourir à sa Puissance et à sa Miséricorde pour obtenir
le courage et la lumière de ne pas défaillir sous l'épreuve
En elle-même la douleur de l homme porte un sens, caché le plus souvent à nos regards
Souffrance de l’homme
La souffrance met l’homme dans une situation d’adversité ; il se trouve contrarié dans tout son être. Cependant, on découvre au cœur de cette même entrave comme une lumière qui maintient celui qui lutte pour sa survie. Il n’est pas seul. Car il peut s’identifier aux souffrances de Jésus et s’inscrire dans une promesse de salut. Cela dit quelque chose de la place de Dieu au cœur de l’épreuve de l’homme. Dieu est bien présent au cœur de toute détresse, quand on l’y convoque.
Les personnes en détresse, du fait de leur accoutumance à la souffrance, sont alors plus proches de Jésus, dans sa croix. Elles s’avèrent être de véritables disciples de Jésus, prêtes à emprunter avec lui le chemin vers Jérusalem. Il y a, ainsi, comme un impératif, qui est de changer le regard porté sur les plus faibles et les défavorisés, car dans notre marche à la suite de Jésus, nous avons beaucoup à apprendre d’eux.
DOULEUR ET SOUFFRANCE
La souffrance peut être physique
- La douleur (comme sensation), la nausée, la détresse respiratoire, et la démangeaison sont des exemples de souffrance physique.
- La souffrance peut être mentale, L'anxiété, le deuil, la haine, et l'ennui sont des exemples de souffrance mentale. L'intensité de la souffrance peut présenter tous les degrés, depuis l’anodin négligeable jusqu’à l’atroce insupportable.
* L'hédonisme, en tant que théorie éthique, affirme que le bon et le mauvais résident en définitive dans le plaisir et la douleur.
* Les épicuriens, quant à eux, mettent l'accent sur la prévention de la souffrance plus que sur la poursuite du plaisir, parce qu'ils trouvent que le plus grand bonheur consiste en un état de tranquillité (ataraxie), exempt de douleur et à l'abri des ennuis qu'entraîne la poursuite ou les conséquences du plaisir.
* Pour le stoïcisme, le plus grand bien réside dans la raison et la vertu, mais un tel idéal s'atteint pour l'âme à travers une sorte d'indifférence au plaisir et à la souffrance (apathie): c'est pourquoi cette doctrine est devenue synonyme de maîtrise de soi devant même les pires douleurs.
* La souffrance joue un rôle important dans la plupart des religions, relativement à des choses comme la consolation ou le réconfort, la conduite morale (ne fais de mal à personne, aide les affligés), le progrès spirituel (pénitence, ascétisme), et la destinée ultime (salut, damnation, enfer).
- Dans la Bible, la douleur est associée à une punition divine lors du non-respect des lois dictées par Dieu .
Le malheur, la souffrance, la douleur frappent toute infraction à la loi. Mais l’interprétation qu’en fait la religion catholique est différente : « La tradition chrétienne assimile en revanche la douleur au péché originel, elle en fait une donnée inéluctable de la condition humaine. L’acceptation de la douleur est une forme possible de dévotion qui rapproche de Dieu, purifie l’âme. Elle fut longtemps considérée, surtout dans l’Antiquité et au Moyen Âge, comme une grâce particulière.
- Dans la religion musulmane : La douleur n’est pas la sanction d’une faute, elle est prédestinée, inscrite en l’homme bien avant sa naissance. Mais si Dieu a créé la douleur il a aussi donné à l’homme les moyens de la combattre par la médecine et la prière. Ce qui signifie que les musulmans n’ont jamais refusé de soulager la douleur, ils sont même plus souvent demandeurs de soin que les juifs ou les chrétiens car la médecine est une science connue depuis de très nombreux siècles. De plus, la religion n’entrave pas la prise en charge de la douleur.
- En ce qui concerne les religions polythéistes, telles que le bouddhisme ou l’hindouisme par exemple, la religion permet aux hommes de s’affranchir de la douleur par la spiritualité. Le bouddhisme enseigne que la souffrance humaine (dukkha) provient de nos tendances, de notre habitude à nous accrocher aux souvenirs de nos expériences, à imaginer des choses qui ne sont pas encore, et de notre incapacité à percevoir correctement la réalité, dans l'instant. Elle évoque la souffrance comme ayant pour racine une insatisfaction fondamentale.
* Comme le reconnaissent certains psychologues lorsqu'un individu souffre psychiquement, c’est l’être tout entier, à savoir toutes les dimensions de son esprit, qui sont concernées. Au départ il s’agit souvent d’une idée, donc d’une raison précise qui à elle seule fait entrer dans l’engrenage de la souffrance. Puis
- tout l’univers psychique, le monde intérieur de la personne devient lui-même noir, laid, déprimant. L’ambiance de ce qui nous entoure devient en effet réellement noire simplement parce qu’elle trahit l’objet de ce qui nous agresse. De plus, ce mal être qui accapare l’individu prend dans le même temps une forme presque physique en ce sens que l'individu ressent des sensations désagréables, pénibles, comme le cœur qui fait « mal », la sensation d’une boule dans le ventre, etc. Ainsi la souffrance s’étend à tous les aspects de la vie psychique de l’individu : les idées, le climat de son monde intérieur, et enfin au niveau de ses sensations internes (et c'est bien sur ces dernières que jouent les antidépresseurs).
* La douleur est la plus célèbre des souffrances, cependant la liste est longue et des souffrances connues au quotidien lorsqu'elles sont banales, peuvent être extrêmes lorsqu'elles sont intenses.
* Souffrances physiques
Douleur.
Suffocation.
Nausées.
Vertiges.
Tremblements (maladie de Parkinson).
Démangeaisons.
Paresthésies.
Acouphènes.
Hyperacousie.
Faim.
Soif.
Insomnie.
Hypotension.
Hypoglycémie.
* Souffrances psychiques
Angoisses.
Phobies.
Peur.
Dépression.
La douleur psychologique fait partie de l’expérience humaine. Toutefois, elle prend parfois un caractère pathologique — par son intensité, sa durée ou les processus cognitifs associés — qui augmente notamment le risque d’idées suicidaires et de passage à l’acte. Sa définition reste l’objet de débats. Plusieurs échelles ont en outre été développées pour améliorer sa mesure. Des études récentes, notamment de neuro-imagerie en contexte social, suggèrent l’implication d’un réseau cérébral, incluant le cortex cingulaire antérieur et l’insula antérieure, qui chevauche partiellement les circuits de la douleur physique. En outre, le système opiacé pourrait jouer un rôle dans la modulation de la douleur psychologique. Des travaux récents pointent également vers le système inflammatoire dans une relation bidirectionnelle avec la douleur psychologique. La douleur sociale, forme particulière de douleur psychologique, pourrait ainsi représenter un système d’alarme lors de la menace de déconnexion sociale, processus mettant en jeu la survie de l’individu. Récemment, plusieurs études préliminaires en attente de réplication suggèrent des pistes de traitement spécifique de la douleur psychologique, incluant la buprénorphine, le paracétamol ou la stimulation cérébrale.
VIVRE, SOUFFRIR ET MOURIR
Tôt ou tard, au cœur de la vie, surgit la souffrance. Elle est physique, psychologique ou spirituelle. Elle freine toujours nos activités, limite souvent notre autonomie et semble parfois diminuer notre dignité. Lorsqu’elle dure trop et s’intensifie, il peut arriver que l’on souhaite en finir. La vie ne semble plus qu’un fardeau. Suicide, euthanasie et suicide assisté apparaissent alors comme autant d’issues souhaitables.
La vie – celle de chaque jour, avec ses joies et ses peines – est un don de Dieu. Un don de son amour et de sa bonté.
« Le jour viendra où le Seigneur, Dieu de l’univers (…) détruira la mort pour toujours. (…) Le Seigneur essuiera les larmes de tous les visages » (Is. 25, 6-8)
« Si quelqu’un veut venir à ma suite, (…) qu’il se charge de sa croix chaque jour, et qu’il me suive » (Luc 9, 23)
Jésus Serviteur qui partage la vie de ses amis et les aide à relever leurs défis, les soutenant aux jours de souffrance pour qu’ils gardent courage jusqu’au terme naturel
La souffrance sociale
La souffrance sociale est donc indissociablement sociale et psychique, psychosociale.
Les protestations et des luttes populaires conduites au nom de la misère et de la souffrance des pauvres. Ces luttes, ne furent menées ni au nom de l’exploitation, ni au nom des droits démocratiques, ni même au nom de l’égalité, elle le furent au nom d’une souffrance sociale si radicale qu’elle était à la fois un facteur de mobilisation et le cœur de la légitimité des luttes. La souffrance sociale est « l’acte d’accusation » du capitalisme et, au-delà, de la société elle- même. Emmanuel Renault veut rappeler que, contrairement à des idées reçues, la souffrance sociale brute fut à l’origine du mouvement social du XIXème siècle. Le sentiment de combattre un adversaire un peu factice tant s’est imposée la souffrance des damnés de la terre dans la formation des mouvements sociaux du siècle de l’industrialisation, tant cette souffrance n’a pu être totalement déniée. Il semble aussi, observe Emmanuel Renault, que le thème de la souffrance s’installe d’autant plus aisément que la souffrance des uns provoque la souffrance de ceux qui les prennent en charge, lesquels sont de moins en moins professionnalisés, de moins en moins protégés par les institutions susceptibles de lui donner du sens et de la mettre à distance. Dès lors, la rencontre avec la souffrance n’est plus médiatisée et elle en devient plus encore insupportable.
Les mutations symboliques qui « affaibliraient » l’individu face aux épreuves des souffrances normales et de celles qui le sont moins. Au fond, nous souffririons d’autant plus que notre
« Moi » serait moins fort, moins consistant et plus porté vers la plainte.
Et la transformation des normes : obligés d’être libres et responsables, nous souffririons par un effet d’épuisement, de fatigue, d’anomie…
L’économie politique qui, identifiant la souffrance à la seule pauvreté, conduirait à la nier en ne distinguant que les « bons » et les « mauvais » pauvres, les souffrants coupables et les souffrants victimes. Le deuxième paradigme, celui de la médecine sociale laisserait dans l’ombre les causes sociales globales de la souffrance. Le paradigme de l’anomie, emprunté à Durkheim et à Halbwachs, ignorerait les causes sociales de la souffrance en la considérant comme une mort sociale issue de la seule dissolution des liens plus que de la domination. Enfin, le Freud de Malaise dans la civilisation considérerait que la souffrance procède de l’affaiblissement des mécanismes de défense psychique et symbolique. Ces critiques conduisent nécessairement Emmanuel Renault à proposer une conception complexe de la souffrance sociale reposant sur l’intégration du biographique et du social. Dès lors, ce sont les atteintes à la consistance du Moi, aux « besoins du Moi » qui définissent la souffrance sociale, souffrance tenant à des facteurs « positifs », traumatismes, domination, exclusion, et à des facteurs « négatifs », l’affaiblissement des résistances à la souffrance.
La dénonciation de la souffrance sociale fonde la critique sociale sur l’exigence de la réalisation de soi, sur des « capabilités » dirait Sen. C’est une critique de témoignage rendant visible ce que cachent les sociétés, bien plus qu’une critique directement politique. C’est, observe très justement Emmanuel Renault, une critique qui désamorce les justifications. En ce sens, c’est une critique de témoignage, une critique de porte-parole ou, pour le dire autrement, une critique morale. Pourtant, c’est un thème que ne développe et que n’emploie guère l’auteur du livre, plus soucieux de s’inscrire dans la vaste mise en cause du néo-libéralisme parfois considéré comme la cause ultime et radicale de tous nos malheurs et permettant d’opérer une montée immédiate vers le politique. Or, comme le montrent bien des travaux, à commencer par ceux de Dejours, les causes de la souffrance ne résident pas toutes dans le « système », elles tiennent aussi aux autres qui harcèlent, qui méprisent, qui ignorent… Si la souffrance sociale pose la question de la justice des institutions, elle pose aussi la question du mal.
Peut-être aurait-il fallu accorder plus de poids aux aspects proprement moraux de la souffrance sociale et de sa critique. Le lecteur ne saurait être en désaccord avec le rappel du rôle politique de la souffrance et cela d’autant moins que l’interpellation morale de la souffrance dans la formation des protestations sociales semble se renforcer avec le repli des mouvements sociaux traditionnels. En revanche, on pourra s’étonner que la dimension proprement morale de cette interpellation soit si faiblement soulignée et que, par exemple, Emmanuel Renault laisse de côté le lien entre souffrance sociale et religion. Des armées de paysans affamés conduites par des moines, dont Thomas Münzer, aux micromouvements radicaux du XIXème siècle décrit par Thompson, jusqu’aux mouvements religieux et sociaux des bidonvilles latino-américains et indiens aujourd’hui, les manifestations socioreligieuses d’une souffrance absolue sont si constantes que l’on a un peu de mal à comprendre pourquoi Emmanuel Renault semble les ignorer. Peut-être est-ce parce que ces mouvements sont trop moraux et trop infra-politiques, peut-être est-ce en raison d’une vision trop sécularisée et trop
« moderne » de la politique que les dimensions proprement « morales » de la souffrance sociale ont si peu de place dans ce livre. Absence d’autant plus étonnante que les quelques mouvements qui parlent au nom des plus souffrants d’entre nous, les SDF, les prisonniers ou certains malades, se veulent des mouvements moraux bien plus que sociaux, ce qui ne les empêche pas d’avoir quelque efficacité sociale alors qu’ils visent peut-être une forme de salut moral qui n’aurait rien de proprement religieuse.
Il reste que Souffrances sociales a un grand intérêt : au moment où le thème de la souffrance, comme celui des victimes, s’impose sans discernement dans notre univers politique et social, il importe de savoir de quoi on peut parler sans être, ni envahi par l’émotion, ni réduit au silence par les plaintes et les poses vertueuses et un peu convenues de la « critique ». Dans un style proprement théorique, le livre d’Emmanuel Renault nous apprend à voir ce qu’il est si difficile de regarder en face.